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Élections présidentielles en Mauritanie : Entretien avec Jemal Taleb Avocat au Barreau de Paris, associé au cabinet Diamantis & Partners, vice-président du Centre de réflexion sur le Sahel.

Monsieur Taleb, les élections présidentielles se tiendront le 29 juin en Mauritanie, pouvez-vous nous dire quelles sont vos impressions sur le contexte dans lequel se déroule la campagne électorale ?

Mes impressions sont celles d’un mauritanien heureux d’observer son pays vivre un grand moment de respiration démocratique au moment où de nombreux pays dans le monde connaissent des coups d’états et des périodes d’instabilité. Il y a sept candidats dont le président sortant. Le climat est apaisé et la campagne électorale se passe dans de bonnes conditions. Il y a des tensions et parfois des excès de langage qui sont inhérents a toute compétition et notamment de ce niveau.

L'ex-président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, condamné en 2023 à cinq ans de prison ferme pour enrichissement illicite, a vu son dossier de candidature invalidé par le Conseil constitutionnel, alors même qu’il avait obtenu de la justice une autorisation de sortie, afin de pouvoir déposer sa candidature. Quel regard portez-vous sur le bilan du mandat du président Mohamed Ould Ghazouani ?

L’arrivée du président actuel Mohamed Ould Cheikh Ghazouani a coïncidé avec l’entrée en scène au plan mondial de la pandémie du Covid 19 et ses conséquences qui n’ont épargné aucun pays et ont stoppé tous les programmes d’investissement dans les quatre coins de la planète. Il a aussi géré une crise politique interne, sans oublier les conséquences de la guerre en Ukraine. nonobstant ses efforts dans d’autres domaines, et en dépit de ces éléments très perturbateurs pour des populations fragiles en particulier, il a un élan social très fort et cela a guidé ses choix politiques vers le volet social !

A l’instar de ses prédécesseurs, il s’est résolument mis au travail, révélant à ses compatriotes une sensibilité sociale qui se confirme tous les jours et que peu d’observateurs de la vie politique mauritanienne ont suffisamment soulevé. Dans certains salons huppés de Nouakchott, il arrive que l’on l’accuse de se servir du Covid et de la guerre en Ukraine pour justifier ce que l’on juge comme ses insuffisances. On ne peut pas plaire à tout le monde, dit l’adage. Ghazouani est perpétuellement en éveil au propre et au figuré car il agit sur tous les fronts. Il peut lui arriver de commencer ses journées très tôt pour les terminer à 23h. S’il délègue plus que son prédécesseur, il surveille tout ce qui se fait et notamment dans son domaine de prédilection, le volet social.

En plus de programmes ambitieux pour l’éducation, les infrastructures ou la santé, la fibre sociale du Président Ghazouani ne se dément pas. Sa politique en matière de santé, d’action sociale, d’aide aux plus démunis, de construction d’équipements scolaires, de développement d’infrastructures hydrauliques et d’assistance aux familles isolées constitue sa marque de fabrique.

Alors que les pays du Sahel sont en proie à une crise sécuritaire sans précédent, la Mauritanie fait figure d’exception. En effet, le pays n’a pas connu d’attaque terroriste depuis 2011.

. Quels sont les facteurs qui expliquent la réussite du modèle sécuritaire mauritanien ?

. La Mauritanie est-elle à même de proposer son savoir-faire en la matière aux pays voisins ?

La Mauritanie se garde de donner des leçons et aucun modèle n’est vraiment exportable. La Mauritanie gère ses contraintes, son économie, ses frontières, son modèle sociale et démocratique pour elle même. Elle n’a pas vocation à s’exporter et son exception comme vous dites est le résultat à la fois de ses réalités internes et du travail de ses dirigeants. A titre de comparaison avec le Mali, ce pays a connu et continue de vivre une guerre civile qui est à l’origine de ses malheurs. Ajouté a cela la guerre en Algérie dans les années 2000 et la déstabilisation de la Lybie par les pays de l’OTAN.

La société mauritanienne à l’instar de l’ensemble des sociétés africaines doit faire face à de nombreux défis, notamment celui de l’inclusion sociale. Dans le cas particulier de la Mauritanie figure l’épineuse question de la condition de la communauté Haratine.

. Cette problématique est-elle traitée sans tabou dans le débat public ?

. Les réformes entreprises jusqu’ici sont-elles adéquates et suffisantes ?

Je ne sais pas s’il y a vraiment une question haratine comme vous l’évoquez. Il y a un héritage lié à l’histoire de l’esclavage dans ce pays comme dans d’autres pays africains. D’abord parler de la condition de la communauté haratine peut laisser entendre que les Haratines sont tous d’anciens esclaves, ce qui est une erreur monumentale que commettent souvent beaucoup d’observateurs. De plus, cela nourrit l'idée dominante selon laquelle seule une ethnie a pratiqué l’esclavage, ce qui est là encore insuffisant comme analyse.

Toutefois, cela ne veut pas dire que tout va bien ou que je préfère taire les problèmes. Dans l’ensemble Hassanophone, l’esclavage a été une réalité mais il n’en résulte pas un problème Haratine proprement dit mais un réel sujet de justice et d’équité sociale. La Mauritanie y fait face avec ses moyens et sans doute qu’elle doit en faire plus. Cependant, on peut affirmer qu'elle se défend bien, et si l'on regarde en arrière.

En effet, on peut observer que l'instauration d'un arsenal juridique, politique et économique a grandement contribué à atténuer les difficultés.

Je pense notamment aux lois de 2007, 2011, la création de tribunaux spéciaux et les mesures d’actions positives en direction des plus défavorisés.

Les pays du Sahel sont majoritairement en situation de conflit ou de crise avec la France, rejetant aujourd’hui toutes formes de coopération avec ce pays autrefois incontournable.

. Qu’en est-il de l’état des relations entre la France et la Mauritanie ?

La Mauritanie n’a pas historiquement de contentieux colonial avec la France. C’est un pays qui a très peu été colonisé, par manque d’intérêt pour les colons et sa coopération avec la France est au beau fixe. Le pays s’est retiré du franc CFA en 1973 et avait dénoncé les accords militaires, mettant fin à toute présence militaire étrangère.

Chacun des pays du Sahel a ses propres raisons et Paris devrait regarder la situation avec moins de passion et trouver un cadre de coopération plus acceptable.

Je ne crois pas en l'existence d'un sentiment de haine au Sahel vis-à-vis de la France ni des français.

Mais les mutations qui s'opèrent et les antagonismes affichés s'apparentent davantage à la fin d’une époque que les pays africains majoritairement ne veulent plus. Il faudrait peut être revoir le CFA et les bases militaires et trouver un modèle de coopération mutuellement avantageux. Je fais partie de ceux qui militent pour cette nouvelle approche car les européens sont nos voisins les plus proches. Nous dormons en même temps, nous avons des modes de vie assez proches et donc il est normal, sans exclure les autres comme les chinois et les Russes, et à l’instar des Amériques ou de l’Asie de créer un cadre nouveau de coopération moins arrogant et plus respectueux de nos peuples.

La Mauritanie, membre fondateur de la CEDEAO, avait quitté l’organisation en 2000, avant de signer un accord d’association en 2017. Cet accord, qui permet la libre circulation des marchandises, n’est pas encore entré en vigueur. Peut-on espérer le retour de la Mauritanie au sein de la CEDEAO qui semble être en pleine crise de légitimité ?

Vous avez bien souligné que la CEDEAO est en crise de légitimité et vous avez raison de le préciser. Je ne vois pas la Mauritanie revenir au sein de cette organisation dans le contexte actuel et d’ailleurs, je ne sais pas si ce modèle est viable dans sa forme actuelle. La nécessité d’une organisation régionale d’intégration est une évidence, mais il faudrait que nos pays réfléchissent à un outil que leur ressemble et qui les rassemble.

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